If I was invisible...Wait, I already am !

30.6.07

La première Table

La restauration, c'est un milieu passionnant. Ça bouge vite, il y a toujours de l'action. Pourtant, ne vous y trompez pas, ce n'est qu'une façade.
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La restauration, c'est très "old school".
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Juste un petit exemple comme ça. Dans le domaine, on est parfois très superstitieux. Avec ou sans raison, allez savoir! Je dis souvent qu'en hôtellerie, l'espoir fait vivre. Espoir de faire de l'argent, espoir que demain soir sera meilleur, espoir d'avoir encore une fois une bonne semaine. Espoir d'avoir 40h00 plutôt que 15 ou 70, espoir qu'il fera beau, que les clients seront au rendez-vous, que le staff de la cuisine sera de bonne humeur, qu'on aura pas trop mal au pied, qu'on se fera pas vider notre caisse de change le vendredi soir du début d'un long week-end de trois jours ou toutes les institutions financières sont fermées.
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On passe notre temps à espérer.
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Et puis on croit en quelques trucs un peu ridicules parfois. Demandez au serveur de vous parler de l'effet "Première table de la soirée". Il comprendra peut-être de quoi je parle.
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C'est sans fondement aucun mais pourtant...
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Habituellement la première table de la soirée vous donne une idée de la soirée que vous aurez. Si la table est payantes, vous allez faire de l'argent ce soir là. Si les clients sont désagréables, il y a de fortes chances qu'ils le soient tous. Comme si c'était cette table là qui installait le beat, le mood du moment.
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Hier soir le Jeune Homme travaillait. 16h30 à [...]. J'fini toujours de travailler à [...]. C'est pas mal la seule chose sure que j'ai à l'horaire d'ailleurs.
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Première table: Un couple fin vingtaine, québécois. Lui militaire, elle dans la moyenne basse côté QI. Pas mesquins mais... Pas cultivés. C'est pas un reproche, c'est un fait. Pas de breuvages, pas d'alcool, pas d'entrée, pas de desserts. Deux plats principaux, en direct. Total de la facture? J'me souviens pas. Dans les 40 balles peut-être. Pourboire ? Zéro pis une barre. Ça fait déjà un drôle d'effet dans l'estomac, mais on désespère pas. J'suis pas du genre pessimiste.
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Deuxième table: Un couple fin quarantaine. L'homme refuse assez sèchement lorsque j'arrive pour emplir les verres d'eau. Ils consultent la carte des vins, alcools et eaux. Ils me demandent une bouteille de 750 Ml de San Pellegrino à 8$. J'arrive à la table avec la bouteille, la dame semble perplexe. "This is not a white wine !" J'vous jure, j'me suis même pas pris la peine de lever un sourcil en lui répondant d'un air affable "Beg ya pardon?". Madame croyait que le San Pellegrino, qui est une eau minérale, était en fait une bouteille de vin blanc de 750 Ml à 8 $. J'ai diplomatiquement orienté leur choix vers un rapitala, vin blanc italien standard et relativement abordable. Total de la facture: dans les 95 $. Pourboire: 5 $. J'avoue que là j'riais un peu moins.
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Troisième table: Cinq personnes âgées qui s'installent à l'intérieur pour manger. Là, ya pas eu de surprise. Les gens de l'âge d'or, faut leur donner ça, ils nous surprennent rarement. Cinq plats principaux, dans la catégorie "Pas trop dispendieux", en direct, sans accompagnement. Ils se sont aussi gâtés avec un énorme demi-litre de vin rouge maison pour les cinq. Et l'équivalent en pain de ce qui aurait pu nourrir une famille du mali pour quelque chose comme 8 mois. Total de la facture: 20-25 par tête. Pourboire: 2$-2.50$ par tête. C'était écrit dans le ciel. Puis j'crois que quand j'étais loin des regards indiscrets ça commençais à être écrit dans ma face aussi.
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Quatrième table: Un couple de japonais unilingues dans la cinquantaine. J'ai tu la tronche de quelqu'un qui parle le japonais moi ? On fini par se comprendre à grand renfort de gesticulation et de bonne volonté. Il gesticulait pis j'voulais comprendre en criss ce qu'il voulait. J'apporte un verre de rouge à monsieur, un jus de tomate (What the fuck !?!?) à madame. Je commande un plateau de fromage et leur fait porter une corbeille de pain par notre petite commis qui serait beaucoup plus à sa place chez Simmons que dans un restaurant. Lorsque je suis retourné sur la terrasse 3 minutes après avoir commandé le plateau de fromage, le temps de faire payer ma table de 5 personnes âgées à l'intérieur, ils étaient parti. Pourquoi ? Aucune idée. Il parlait juste japonais. Devant l'insistance du client l'hôtesse, voulant m'aider, avait sorti la facture du monsieur. Sans savoir, c'est pas sa faute, que lorsque l'on a des clients unilingues japonais, ou tout autre de même catégorie, on sort une facture AVEC le service inclu. Ce qu'elle n'a pas fait. Le jap à réglé en argent. À la cenne près. Là j'dois avouer que quand la p'tite hôtesse m'a dit pour la troisième fois "Where's your smile?" j'ai répondu un peu bêtement "Irene, would you do something for me? Please shut the fuck up for 10 minuts.". J'me suis excusé après, J'vous promet.
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Rendu là, j'me suis souvenu du mythe entourant la première table. J'dois admettre que ça arrive souvent que c'est vrai. Mais la vie est drôlement faite.
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Alors que je tentais de me dépêtrer avec la cinquième table que la cuisine était en train de toute me décâlisser parce qu'un sous-chef payé 6 fois mon salaire est pas foutu de se rendre compte qu'il n'y a plus de papier dans SON imprimante à commande et qu'il trouve le tour d'accuser le staff de plancher donc implicitement MOI, de SON erreur, le ciel nous est tombé sur la tête.
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Là, ça a été un peu rock'n'roll j'dois dire. C'est la course à la terrasse et a l'intérieur. Tous les clients veulent rentrer en même temps, ils se lèvent sans le demander, verre en main, s'assoient n'importe où. On se retrouve trois serveurs avec nos sections toutes mélangées à l'intérieur, le suiteur s'arrache les cheveux de sur la tête en sanglotant parce que les numéros de tables ne sont plus les bons ET que les numéro de clients par table ne le sont plus non plus, ce qui fait qu'il n'a plus aucun moyen de savoir quel plat va à qui. Il faut tout ramasser dehors tout en installant tout le monde à l'intérieur, tenter de reprendre le beat et de ne pas laisser la panique nous envahir, calmer le suiteur en corrigeant tous les bons de commande, dire à la cuisine d'aller se faire voir parce qu'ils se sont mis à capoter quand ils ont vu tous ces gens rentrer vu qu'ils ont pas assez de tête pour se rendre compte que c'était des clients déjà répondu, etc.
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Sauf qu'après l'orage, on aurait dit que l'air avait changé. Ma sixième table m'a laissé 55$ sur une facture de 200$. Et le reste de la soirée a suivi ainsi.
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Résultat? J'ai réussi à aller toper à 16.5 % de pourboire. Un peu en dessous de ma moyenne, mais encore au dessus du 15% magique.
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Sauf que j'sais pas. Yavait comme un fond de cynisme dans l'air. Comme si j'entendais l'univers ricaner un peu mesquinement derrière moi pendant que je terminais de compter ma caisse, pour me rappeler que dans mon métier, je n'ai de contrôle sur rien.

6 commentaires:

caroline.g a dit…

T'ai-je déjà dit que j'admirais les serveurs ? Ben j'te l'dis: j'admire les serveurs. Astie que j'ferais pas votre jobbe. Never ! :o)

Julie a dit…

Je n'ai jamais été serveuse dans un resto. Par contre j'ai travailler au casse-croûte du bowling du coin tous les week-ends pendant environ 6 mois. La fille qui travaillait là avant moi était réputé pour son air bête. Les clients ne venaient acheter qu'en absolu nécessité et avait pris l'habitude de ne pas laisser de pourboire ou presque pas. J'ai trimmé dur pour aller chercher la clientèle et le pourboire, ce que j'ai réussi haut la main après quelques semaines. Mais je me rappelle le découragement lorsque tu offres un bon service et de ne pas voir l'appréciation du client par la suite.

Whakya a dit…

Halala que moi non plus je ne ferais pas votre job! Je serais plutôt du genre à couper la tête au premier client bête! Chose certaine, si je passe un jour par Québec, je viens sur ta terrasse pour etre ta première table pour bien starter ta soirée! ;)

Waitress a dit…

Ahahahahah j'ai bien rit en te lisant Jeune Homme.

Oui, la putain de première table... ça en dit long. Mais le vent tourne aussi parfois !

Faudra que je te raconte ma soirée de jeudi... un enfer !!!!

Moi aussi, j'me suis fait mouillée hier soir... Grrr !

Valérie-Ann a dit…

En tant qu'ancienne employée à pourboire, et en tant que cliente avec jeune enfant, je connais la valeur d'un bon service. Quand le service que je reçois va de "satisfaisant" à "ça se voit que la serveuse ou le serveur adore son job et adore les enfants", je tip plus que 15%. On n'est même pas dans la classe moyenne, mais on l'sait que la job de serveuse-serveur, ça peut être crissement chiant. Pis qu'une famille avec enfant qui jette sa bouffe par terre, qui casse les salières, qui crie ou qui a besoin de manger une portion qui est même pas sur le menu, c'est pas tout le temps agréable. Vous êtes vraiment bons, sérieux, pis vous avez pas la moitié de la reconnaissance que vous mériteriez. Bravo!

Jeune Homme a dit…

Un jour... Un jour peut-être qu'on sera reconnu comme pratiquant une vrai profession plutôt que comme des "jobineux" sans qualification ! :P