Ils sont deux garçons. L'un de 14 ans, l'autre de 11. Deux petits frères dans la forêt.
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Ils étaient au chalet familial, perdu dans le bois à environ 140 kilomètres au nord de Rivière-au-rats. Loin de tout.
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Sans électricité, sans eau courante. Même la radio qu'ils ont emportés avec eux au chalet ne capte aucun poste. Ils sont là pour une semaine dans le silence.
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Évidemment, ils n'y sont pas allés seuls. Ils sont avec leur père, leur oncle et quelques cousins.
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Nous sommes au mois de Juillet. Il faut beau, les insectes bourdonnent.
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Lorsqu'ils se sont levés ce matin là, le soleil tapait déjà, implacable dans l'humidité de cette nature étouffante. Le sol spongieux de la forêt cale un peu sous leurs pas lorsqu'ils avancent de plus en plus lentement entre les arbres et les buissons de framboisiers.
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Vers midi ils ont demandés à leur père la permission d'aller pêcher de l'autre côté de la pointe. Après quelques tergiversations ils ont eu son accord. Ce n'est pas très loin.
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Le chalet est sur le bord d'une plage. Il est construit du coté du lac de la péninsule qui s'étire tel une langue avide dans la grande étendue d'eau. Derrière le chalet, à environ un demi-kilomètre, On retrouve encore le lac.
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Un demi-kilomètre ce n'est pas très loin.
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Ils sont donc parti à pied vers 13h00, avec leurs cannes à pêche, 2 canettes de pepsi et un panier à poisson pour les prises qu'ils imaginent déjà nombreuses.
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Ils sont allés de l'autre côté de la péninsule hier avec leur père. Ils ont fait le tour, en chaloupe, et ils ont attrapés 3 dorés, dont un de près de 4 lbs, et 1 gigantesque brochet de 12 lbs et demi. Un monstre.
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Ils sont parti la tête pleine de la gloire qui coulera sur eux quand il reviendront vainqueurs au chalet avec leurs prises.
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Et ils marchent de plus en plus lentement. Le doute s'est installé dans la tête du plus vieux.
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Un demi-kilomètre, c'est pas si loin. Pourtant ils marchent déjà depuis un bout.
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Il tait ses doutes pour ne pas alarmer son petit frère qui chante on ne sait trop quelle chanson, le sourire aux lèvres. Il ne veux pas qu'il cesse de sourire, déjà que plus tôt il a un peu boudé parce qu'il voulait boire son pepsi tout de suite et que son grand frère lui a dit d'attendre d'être rendu sur le bord de l'eau sinon il n'aurait plus rien à boire de l'après-midi.
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C'est un boudeur le petit frère, mais pas un rancunier. Il oubli vite les contrariétés de la vie.
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Mais c'est pas un idiot non plus le cadet. Il s'est aussi rendu compte qu'ils marchaient depuis longtemps.
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Deux fois déjà il a demandé à l'aîné s'ils étaient bientôt arrivés. Deux fois l'aîné à dit que ce n'était probablement plus très loin. Mais déjà le manque d'assurance pointait dans sa voix la deuxième fois.
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Les deux frères ont cessés de marcher. Ils regardent l'immense étendue de la forêt autour d'eux, cherchant un signe, un repère. Si seulement ils pouvaient voir poindre au travers de la ligne d'arbres l'eau qui brille, ils sauraient qu'ils approchent du but.
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Tout autour d'eux n'est qu'arbres, framboisiers, verdure. Plantes qui piquent, qui grattent, qui accrochent aux vêtements.
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C'est d'une voix mal assurée que le plus jeune demanda au plus vieux s'ils étaient perdus. Et c'est d'une voix construite que le mensonge qu'était le mot "non" lui fut répliqué.
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Ils ont continués à marcher pendant un bout, selon la volonté du plus vieux.
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Le cadet avait cessé de chanter. Il avait cessé de demander s'ils étaient bientôt arrivés. Il avait cessé de penser à sa canette de pepsi qu'il avait hâte de boire.
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Le silence de la forêt n'était plus dérangé par aucune parole, par aucune chanson. Juste par les pas de plus en plus rapide des deux frères qui dans leur toute jeune logique avaient d'un silencieux accord tacite décidé que s'ils marchaient plus vite ils s'en sortiraient plus rapidement, quitte pour une bonne frousse jamais exprimée, même pas entre eux.
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Et puis le plus âgé des deux n'a qu'une idée en tête. Ils sont sur une péninsule. Trois des quatre côtés mènent à l'eau.
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Peu importe la baie et les poissons. Peu importe la pêche miraculeuse. Peu importe les deux pepsi qui réchauffent dans le panier à poisson. S'ils trouvent....Quand ils vont trouver le lac, ils n'auront qu'à suivre la berge pour retourner au chalet.
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Cette idée rassure le plus vieux et lorsqu'il voit que les larmes commencent à perler dans les yeux du plus jeune, il lui explique tout. Il lui dit comment ils tomberont immanquablement sur l'eau, comment ils suivront le lac, comment ils reviendront au chalet en buvant leurs pepsi, même si les canettes sont chaudes.
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Il lui dit que ce n'est pas grave s'ils n'arrivent pas dans la baie, qu'ils pêcheront en rentrant au chalet.
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Mais le plus jeune n'est pas idiot. Lui aussi est doté d'une logique solide quoi qu'infantile. Qu'est-ce qu'on fera si nous sommes allés trop à droite et que nous avons manqués la baie, que nous sommes sorti de la péninsule, que nous nous enfonçons dans la forêt ?
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Logique infantile qui n'avait pas de solution rationnelle à proposer contrairement à celle du plus vieux, mais qui avait une capacité beaucoup plus grande à voir les désastres imminents, comme on arrive encore à voir le monstre sous notre lit lorsque l'on est encore suffisamment jeune.
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Changement de trajectoire, pour rassurer le plus jeune, mais aussi parce que prendre une décision permet au plus vieux de ne pas céder à la panique. plutôt que d'aller tout droit, ils s'orientent un peu plus vers la gauche, question d'augmenter leur chance d'atteindre le lac.
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Le plus jeune est rassuré. Dans sa logique d'enfant son grand frère à tout compris, il sait tout. Il lui a dit pour la question de la mauvaise direction et du fait qu'ils avaient peut-être manqués le lac. Son grand frère à réagi, il a pris une décision, la bonne. Son grand frère prend toujours les bonnes décisions.
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Le plus vieux est inquiet. Il n'avait pas pensé qu'ils avaient pu dévier vers la droite. Ils ont du faire quelques détours pour éviter les énormes bosquets de framboisiers qui poussent un peu partout. S'ils sont allés trop à droite ils auront de la difficulté à retrouver le lac. Et leur père sera fâché qu'ils se soient perdu. Et ils n'ont que deux pepsi. Il doit absolument retrouver le lac pour ramener son frère au chalet. Il a déjà peur de passer la nuit seul avec son frère dans la forêt, sans rien pour se défendre, sans rien à manger.
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Il ne dit rien. Son cadet semble rassuré, c'est ce qui compte. Il ne faut pas inquiéter les gens pour rien. Il saura bien trouver une solution si à la nuit tombée ils sont encore perdus. Il sait qu'ils sont perdus.
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Le plus jeune sait qu'ils ne sont pas perdus. Ils ont juste pris un détour, mais ils vont bientôt arriver au lac. Ils suivront la berge et ils pêcheront en retournant au chalet. Il a déjà hâte de boire son pepsi. Même s'il est chaud. Et il veut attraper un brochet aussi gros que celui que leur papa a sorti de l'eau hier après midi, dans la baie pour laquelle ils sont partis vers les 13h00.
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Le plus vieux marche en regardant partout autour de lui. Il a discrètement regardé sa montre pour ne pas que le plus jeune ne lui demande quelle heure il est. Il est près de 16h00. Cela fait donc près de trois heures qu'ils sont partis. Il n'a que 14 ans mais il sait que ça ne prend pas trois heures pour parcourir les 500 mètres qui séparent le chalet de la baie.
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Il est même pas mal certain que ça ne prendrait même pas trois heures pour partir du chalet et atteindre le bout de la péninsule. En fait, il commence même à se dire qu'en suivant la berge du chalet à la baie, ils en auraient eu pour moins de trois heures.
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Il sait qu'ils ont déviés vers la droite. Il sait qu'ils ont manqués la baie. Il sait qu'ils sont en pleine forêt.
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Il commence à penser aux ours, à la noirceur. Il commence même à penser aux indiens. Leur père lui a dit qu'il y en avait dans le coin et qu'il valait mieux ne pas les contrarier. Eux vivent ici, pas nous. Peurs irrationnelles dans un esprit qui surchauffe de panique intérieure.
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Le plus jeune se dit qu'ils vont bientôt arriver au lac. Le plus vieux se dit que s'ils continuent dans cette direction là, ils ne le trouveront peut-être jamais. S'ils sont vraiment trop allés à droite, ils feraient mieux d'aller directement à gauche, pour être certains de trouver la berge. Il ne sait pas trop quoi faire.
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Dans sa tête de jeune adolescent, il est persuadé qu'il ne faut pas trop changer souvent de direction. Mais il ne peut pas s'en empêcher.
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Ils tournent à gauche, le plus jeune demande pourquoi. Le plus vieux lui répond que c'est juste pour être certain qu'ils ne se perdront pas. Il sait qu'ils sont déjà perdu, mais il ne veut pas le dire. Il refuse de l'admettre à voix haute. Mettre des mots sur leur situation ne la rendrait que plus tangible et réelle.
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Le cadet à compris. Vous le savez, il est jeune, mais il n'est pas idiot.
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Plus ils s'enfoncent dans la forêt, les framboisiers égratignant leurs jambes, les branches basses se prenant constamment dans leurs cannes à pêches, le panier à poisson qui frappe contre les côtes du plus vieux, avec les deux pepsi chauds à l'intérieur, plus ils comprennent à quel point c'est grand la forêt. À quel point c'est facile de s'y perdre. À quel point ils y sont perdus.
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Le plus jeune sanglote, gémi. Il reproche au plus vieux de ne plus savoir où ils sont. Le plus vieux s'impatiente, il n'a pas l'énergie pour essuyer le flot d'insulte que le plus jeune fait pleuvoir sur lui. Il se sent responsable mais ne veut pas admettre que ce soit sa seule faute. Il lui dit de se taire et se met à avancer plus vite, distançant son petit frère.
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Le plus jeune hurle. Il lui crie de l'attendre, qu'il ne veut pas rester tout seul, qu'il a peur. Le plus vieux lui répond de se dépêcher, d'arrêter de sangloter, de cesser de faire l'enfant. Les deux frère se crient maintenant par la tête.
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Au milieu de leurs cris s'élève une troisième voix, lointaine, masculine, adulte.
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Les deux jeunes se taisent. C'est le silence dans la forêt. Le plus vieux écoute attentivement, voir s'ils n'ont pas hallucinés.
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Le plus jeune ne s'embarrasse pas d'écouter. Il hurle de sa voix claire d'enfant pour qu'on viennent les chercher. La voix adulte leur répond. C'est leur père.
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Une heure après leur départ il a décidé d'aller vérifier si tout allait bien. Il a pris la chaloupe et s'est rendu dans la baie. Lorsqu'il a constaté leur absence, il a attaché l'embarcation et a fait le chemin inverse, à travers les bois, jusqu'au chalet.
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Il ne l'est a pas vu, il s'est inquiété. Lui et les autres ont alors fait une ligne, laissant une centaine de mètres entre chacun d'eux, et ils ont traversés la péninsule jusqu'à la baie. C'est comme ça qu'ils sont tombés sur les deux frères.
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Les deux garçon ont beaux dire qu'ils n'ont pas eu peur, les lignes claires sur les joues sales du plus jeune et le léger tremblement dans la voix du plus vieux ne mentent pas.
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Ils ont été quitte pour une bonne frousse. Leur père aussi.
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Cette journée là personne n'est allé pêcher. Mais ce n'est pas grave.
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Il restant l'énorme brochet de la veille. Ils en ont donc fait un festin et tout le monde s'est couché heureux et repus, conscient du silence de l'immensité de la forêt qui les entourent, même sur la péninsule.
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Tiré de la jeunesse du Jeune Homme. Le plus jeune ou le plus vieux ?
7 commentaires:
Plus jeune ou plus vieux je ne sais pas, mais quelle frousse! C'est *tellement* le genre de chose qui, à 21 ans, malgré mon esprit que je crois cartésien et rationnel, me ferais capoter et, je l'admets, pleurer... et encore une fois quelle écriture! J'en suis jaloux, décidément ;-)
Well...La question était: Moi, Jeune Homme, lequel des deux protagoniste suis-je ? :P
T'étais le plus jeune.
Y'a quelque chose qui me dit que tu étais le plus jeune... dans ta façon de reprendre à plusieurs reprises le fait que le plus jeune n'était pas idiot entre autre. C'est le genre de commentaire que l'on retrouve beaucoup plus souvent pour soi que pour quelqu'un d'autre. Tu écris de manière très sûre les réactions du plus vieux. Tu justifie celle du plus jeune. Dans la vie, nous avons tendance à nous justifier trop souvent.
Ben non.. J'étais le plus vieux ! Semblerais qu'il reste encore pas mal de mes traits de caractères à découvrir !:P
Très belle histoire d'adolescent... devenu grand.
J'ai aussi une belle histoire de pêche qui remonte à mes 14 ans ; je l'écrirai un jour.
Parfois les vieilles histoires se meurent d'etre racontées.. Et c'Est pas parce qu'elles sont vieilles qu'elles sont pas bonnes !
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